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Le blog de la Fédération Française de Généalogie, reconnue d'utilité publique

Le traitement désordonné des permaliens en France

10 Juin 2018, 18:02pm

Publié par F.F.Généalogie

Les liens électroniques permanents, désignés aussi sous le nom de « permaliens », ont été créés et conçus sur le plan international pour permettre aux internautes d’aujourd’hui de montrer, à leurs contemporains mais aussi aux chercheurs de demain, tous les documents en ligne qu’ils ont consultés pour alimenter leurs travaux. Ce ne sont pas des adresses électroniques, qui peuvent varier au gré de l’évolution des goûts, des logiques et des technologies, mais des identifiants numériques qui doivent toujours être courts et intemporels, c’est-à-dire permanents, pérennes et immuables à travers les âges. Ils ont été fondés sur le principe suivant : de la même manière qu’un être humain se distingue des autres par une identité civile particulière, qui permet toujours de retrouver sa trace à telle ou telle adresse domiciliaire tout le long de sa vie, un document en ligne doit être doté d’un identifiant numérique irrévocable, donnant directement accès à un document en ligne grâce à son adresse électronique invisible, sous-jacente. L’intitulé d’une adresse électronique peut parfaitement changer au cours du temps, pour suivre l’évolution des goûts et des techniques, mais celui d’un identifiant numérique doit rester invariable d’une génération à l’autre.

L’intitulé d’un permalien ne doit jamais être altéré par quiconque. Il se compose de trois parties : d’abord un préfixe, puis une racine et enfin un suffixe. C’est la racine qui, à elle seule, suffit à désigner précisément le document mis en ligne, ceci à l’échelle planétaire. Elle est attribuée en règle générale par la Bibliothèque numérique de Californie (California Digital Library), qui garantit aux internautes du monde entier l’absolue invariabilité de la racine du permalien. Cette racine se subdivise en trois sections distinctes, séparées par des barres obliques : le type de l’identifiant (/ark:/), puis le numéro aléatoire attribué au propriétaire du document numérique (/56431/ pour les Archives départementales de l’Yonne), et enfin la cote internationale et aléatoire du document en question (/vta53479b2a15d7f/ pour le premier registre paroissial de Lindry, par exemple, qui couvre une période allant de 1574 à 1668). La racine de ce registre en ligne, garantie comme permanente et immuable par les bibliothécaires californiens, est donc libellée comme suit : /ark:/56431/vta53479b2a15d7f/. La cote numérique qui y figure n’a pas été créée sous l’emprise d’une quelconque logique archivistique à la française, soumise aux aléas des modes, des lubies et de nouveaux systèmes de pensée. Elle a été créée par des robots selon une méthode aléatoire à l’américaine, qui ne classe pas mais se contente d’identifier.

Dans tout permalien, si la racine est placée sous la responsabilité d’un organisme international, le préfixe et le suffixe sont placés quant à eux sous celle, encore défaillante, des autorités françaises. Aucun cahier des charges n’a été établi par les Archives de France pour imposer, aux conseils départementaux et aux sociétés d’informatique privées qui gèrent la mise en ligne des archives publiques, un modèle national simple, unique et définitif qui détermine le libellé des préfixes et des suffixes des permaliens en France. Les archivistes des départements et des communes sont donc privés d’un soutien hiérarchique national, qui les protégerait tous de l’ingérence inopinée, en matière de codification des documents, non seulement des prestataires privés qui mettent en ligne les archives publiques, mais aussi des commissions informatiques créées au sein des conseils départementaux. En l’absence de consignes nationales s’imposant à tous, les archivistes ne sont pas à même d’assurer aux internautes l’immuabilité des permaliens qui donnent accès aux documents mis en ligne.

Le cas de l’Yonne est tout à fait représentatif des atteintes répétées portées aux travaux des historiens et des généalogistes. Le 18 avril 2017, en effet, le suffixe des permaliens, qui permet d’ouvrir une page précise à l’intérieur d’un document numérique (identifié par la racine), a été modifié par le prestataire privé gérant le site électronique des Archives de l’Yonne, sans aucun égard pour les usagers. Les suffixes, qui jusque lors ne comportaient qu’une dizaine de chiffres, de voyelles et de consonnes, ont soudain été remplacés d’autorité par une longue chaîne alphanumérique qui alignait jusqu’à soixante-quinze caractères ! Il a fallu que notre cercle proteste énergiquement auprès de l’archiviste en poste à l’époque pour que le prestataire privé mette fin à son initiative et réactive les anciens suffixes. Le problème de l’instabilité des permaliens, cependant, n’a pas été réglé pour autant. Le 5 juin 2018, ce sont les préfixes qui ont été modifiés sans concertation, cette fois par la commission informatique du conseil départemental de l’Yonne. Le préfixe se compose de deux sections : le protocole d’accès (http://) et le nom du site. Les deux sections ont été changées : la commission a décidé de remplacer « http:// » par « https:// », c’est-à-dire par la version sécurisée du protocole d’accès, le nom du site devenant par ailleurs « archivesenligne.yonne.fr » au lieu de « archivesenligne.yonne-archives.fr ». Ceci est certes une avancée vers un préfixe plus court, puisque celui-ci est devenu https://archivesenligne.yonne.fr en utilisant moins de caractères, mais cette modification a rendu caducs tous les permaliens que nous avions déjà enregistrés dans nos bases de données et publiés dans nos bulletins de liaison numériques. Notre cercle a dû protester derechef, auprès de la nouvelle archiviste en poste à Auxerre, pour que les anciens préfixes soient tous réactivés, ceci parallèlement aux nouveaux.

Les Américains ont fait leur part du travail dans la conception des permaliens et la codification, pérenne et immuable, de la racine de ces liens électroniques à vocation mondiale. Il appartient à présent aux Français de compléter le tableau en instaurant une codification fixe et irrévocable des préfixes, qui ouvrent les sites à leur page d’accueil, mais également des suffixes, qui ouvrent quant à eux les documents d’archives en ligne à une page bien précise. On ne peut guère agir dans le contexte restreint d’un département. Nous avons donc prié la Fédération française de généalogie de se faire l’écho, auprès des Archives de France, de la nécessité d’établir enfin une norme contraignante concernant le libellé des préfixes et des suffixes des permaliens.

Pierre Le Clercq, président de la Société généalogique de l’Yonne et trésorier de l’Académie internationale de généalogie.

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