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Le blog de la Fédération Française de Généalogie, reconnue d'utilité publique

Arrêt de la Cour de Bordeaux : le point de vue de la FFG

14 Mars 2015, 10:29am

Publié par Fédération Française de Généalogie

Enorme surprise, c’est ce qu’il convient de dire, suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 26 février 2015 dans l’affaire qui oppose NotreFamille.com au département de la Vienne.

Contre toute attente, en première instance, NotreFamille.com avait été débouté de ses demandes de réutilisation des données publiques des Archives départementales de la Vienne. Divers procès, ayant le même thème de revendication, avaient été engagés et gagnés par NotreFamille.com.

Service public… ou pas

Les juristes ne manquent jamais d’imagination et, habilement, le Conseil général de la Vienne avait déplacé le débat vers le droit des producteurs de bases de données. Le 18 décembre 2009, le département de la Vienne avait fixé les conditions de réutilisation des informations contenues dans les documents d’archives et il n’avait autorisé la réutilisation des fichiers numériques que sur cession de ceux-ci dans le cadre d’une mission de service public. En clair, tout demandeur qui n’exerçait pas une mission de service public ne pouvait demander la cession de fichiers numériques à son profit. Une société commerciale, comme NotreFamille.com, était donc bloquée juridiquement….mais pas qu’elle !

Bases de données et leur droit

En première instance, le tribunal administratif avait validé la procédure. Celle-ci mettait donc en échec la loi de 1978 sur la réutilisation, en faisant application du droit des bases de données.

Comment une base de données est-elle protégée ? Elle l’est par deux voies différentes :

  • La première, par la protection du droit d’auteur.

Il faut, nous dit l’article L 112-3 al 2 du Code de la propriété intellectuelle, qu’elle soit « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ».

Pour prétendre à cette protection, la base de données doit constituer une véritable création intellectuelle originale. Un tel classement des registres de l’état civil par commune, dates et types d’actes est des plus ordinaire. Il n’aurait donc pas permis au département de la Vienne de revendiquer une protection au titre du droit d’auteur.

  • La seconde fait, qu’une base de données, même non originale, peut être protégée par un droit qui est qualifié de « sui generis » quand le producteur de la base a fait un investissement financier, matériel ou humain substantiel (art. L 341-1)

Il est ici évident, à première vue, que l’investissement financier, matériel et technique pour mettre en ligne des registres numérisés est très important. Ce fut l’argument avancé par le département de la Vienne au soutien de sa cause.

L’analyse juridique de la Cour d’appel

Les juges de la Cour d’appel ont alors tenu le raisonnement suivant et constaté :

1 – que le Conseil général autorise la réutilisation des informations par la consultation sur place des archives, laquelle peut donner lieu à une délivrance d’une copie papier ou numérique et, qu’en conséquence, il était bien satisfait aux articles 4 et 10 de la loi du 17 juillet 1978 ;

2 – que les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées sont fixées notamment par les services culturels en vertu de l’article 11 de la même loi ;

3 – que les informations contenues dans les documents originaux ont été classées et structurées dans un ensemble qui présente le caractère d’une base de données ;

4 – que les investissements financiers matériels et techniques permettent de qualifier le département de producteur d’une base de données, bénéficiant des dispositions de l’article L 342-1, qui donne le droit d’interdire l’extraction de la totalité ou d’une partie de la base.

Avec ces arguments, la messe était dite pour la Cour d’appel et le droit de la réutilisation balayé par un autre droit, celui des bases de données !

Des points critiquables

  • Affirmer que le fait de pouvoir consulter sur place des documents, ainsi que le prévoit l’article 4 de la loi de 1978, soit le justificatif du raisonnement est pour le moins paradoxal et renvoie aux procédures du passé d’avant Internet.
     
  • Utiliser l’article 11 précité, dit de l’exception culturelle, pour justifier son argumentation, vient à l’encontre de plusieurs décisions récentes, dont l’arrêt de Lyon du 4 juillet 2012, qui considère que « les dispositions de l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978 relèvent de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par cette loi ». Si des modalités peuvent être mises en avant par les services, à travers des licences par exemple, elles ne peuvent mettre en échec le droit de réutiliser. Tous les commentateurs ont considéré que l’exception culturelle, invoquée par les services des archives, avait vécu. La jurisprudence qui semblait fixée est donc remise en cause par cet arrêt.
     
  • Le producteur de la base de données doit justifier d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. L’investissement doit être nécessaire à la constitution, à la vérification ou à la présentation du contenu de la base de données. Cette substantialité est appréciée par les juges au regard des coûts récurrents de gestion, de contrôle et de maintenance de la base de données. En outre, la protection de la base expire quinze ans après son achèvement (art L 342-5). Or, celui-ci s’entend de la mise au point du modèle de base de données (création des tables, index, formulaires, etc.) La saisie de données, leurs mises à jour sont sans incidence sur le point de départ de l’achèvement. Pour protéger la durée de protection, il faut, par exemple, une version remaniée du site. Ceci démontre que ce n’est pas la quantité de vues mises en ligne qui compte ! En ne procédant pas à ces vérifications, en se contentant d’affirmer sans aucun justificatif, l’arrêt est pour le moins léger…et critiquable.

Bilan provisoire

Faut-il donc se réjouir de cet arrêt ? Rien n’est moins sûr, car, en se basant sur celui-ci, un service d’archives pourra décider d’interdire la diffusion des documents numérisés, selon son bon plaisir. Cela ne va pas, vraiment, dans le bon sens pour les généalogistes.

Nous ne savons si NotreFamille.com fera un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

Cet arrêt ne va-t-il pas alerter le législateur, car le droit de réutilisation est remis complètement en cause ? La directive européenne n’a pas encore été transposée dans notre droit. Il ne serait pas étonnant que lors de cette transposition, cet arrêt soit remis en question pour en revenir aux fondamentaux du droit de la réutilisation. N’oublions pas que l’Etat pousse pour un « Open data », donc pour une ouverture des bases de données….

Affaire à suivre ! Mais quel dommage de ne pas avoir un état du droit enfin stabilisé en matière de réutilisation.

Jean François Pellan - Président de la FFG

 

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